Le détournement de fonds : tout comprendre à ses mécanismes et signaux d’alerte
Chaque année, des milliards sont soustraits aux entreprises et aux organismes publics par ceux-là mêmes qui sont chargés d'en assurer la bonne gestion. Le détournement de fonds est un mal qui ne date pas d’hier, mais trouve un écho particulier en raison des montants vertigineux révélés par les affaires récentes. Tous les pans de l’économie sont concernés : entreprises parapubliques, institutions et agences gouvernementales, entreprises industrielles et jusqu’aux plateformes d’échange de cryptomonnaies. Cet article explore les différentes facettes de ce phénomène complexe, à travers des cas concrets tirés de l’actualité.
Qu'est-ce qu’un détournement de fonds ?
Le détournement de fonds se définit comme l'appropriation illégale de fonds ou d’actifs par une personne en position de confiance ou de responsabilité, à des fins personnelles. Il y a trois éléments clés qui le caractérisent :
Une relation de confiance préexistante
Il s'agit toujours d'une personne ayant légalement accès aux fonds de par sa fonction ou son statut : un trésorier d'entreprise, un gestionnaire de compte, un banquier, un dirigeant même. Cette position de confiance est au cœur du mécanisme frauduleux.
Une appropriation illégale
L'auteur utilise sa position pour s'approprier des fonds ou des biens qui lui ont été confiés, par divers moyens : transfert vers des comptes personnels, création de fausses factures et encaissement des règlements, détournement de l'usage prévu des fonds, etc. Quel qu’ils soient, le résultat est le même, la victime subit un préjudice financier, qu'il s'agisse d'une entreprise, d'une administration, d'une association ou d’une plateforme d’échange de cryptomonnaies.
Une intention frauduleuse
Le détournement implique toujours une volonté délibérée de s'approprier des fonds qui ne nous appartiennent pas. C'est ce qui le distingue d'une simple erreur de gestion. L'acte est intentionnel et dissimulé : le fraudeur agit sciemment et s'efforce de masquer ses malversations.
Bien que la loi les considère différemment, l’expérience montre que le détournement de fonds s’associe souvent à l'abus de biens sociaux, qui consiste pour un dirigeant à utiliser les biens ou le crédit de sa société à des fins personnelles. Les différents scandales montrent aussi comment les détournements sont possibles grâce à la fraude, qui recouvre des manipulations comptables ou financières sans appropriation directe, ou à la concussion, spécifique aux agents publics qui perçoivent indûment des fonds.
Quels sont les différents types de détournement de fonds ?
Détournement d'espèces ou d'instruments de paiement
Cette catégorie recouvre les vols d'argent liquide en caisse, la falsification de chèques ou leur utilisation non autorisée, ainsi que l'usage frauduleux de cartes bancaires ou de moyens de paiement électroniques. C'est l'une des formes les plus directes et les plus courantes de détournement, qui exploite les failles de sécurité et de contrôle des moyens de paiement.
Exemples : il peut s'agir d'un caissier qui pioche discrètement dans la recette, d'un comptable qui émet des chèques sans autorisation ou d'un manager qui règle ses dépenses personnelles avec la carte de l'entreprise.
Détournement par falsification de documents
Ce type de fraude consiste à manipuler ou à falsifier des pièces comptables et des justificatifs pour détourner des fonds. Cela peut passer par la production de fausses factures de fournisseurs fictifs ou complices, le gonflement de notes de frais, la modification de contrats, bons de commande ou devis.
Exemples : un employé peut s'entendre avec un prestataire pour surfacturer une prestation et se partager les profits, ou se faire rembourser des frais personnels en les faisant passer pour professionnels. Ces montages frauduleux s'appuient sur la fabrication de faux ou l'altération de documents authentiques, exploitant les faiblesses des processus de validation.
Détournement via des sociétés écrans
Une autre technique prisée des fraudeurs consiste à créer des structures fictives servant à simuler des prestations et à encaisser des paiements indus. Ces sociétés écrans, souvent domiciliées dans des paradis fiscaux, disposent de comptes bancaires occultes permettant de recevoir et de blanchir les fonds détournés. Les véritables bénéficiaires se dissimulent derrière des prête-noms et des hommes de paille pour brouiller les pistes.
Exemples : le détournement peut intervenir au moyen de fausses factures de consulting émises par des coquilles vides, ou des rétrocommissions versées sur des comptes offshore. Ce type de détournement nécessite souvent la complicité d'intermédiaires peu scrupuleux (avocats, comptables).
Détournement d'actifs et de propriété intellectuelle
Au-delà des liquidités, les fraudeurs peuvent aussi chercher à s'approprier d'autres types d'actifs appartenant à leur entreprise. Il peut s'agir de vols de stocks, de matériaux ou de fournitures, revendus ensuite à des tiers. Mais aussi de copies frauduleuses de fichiers clients, de logiciels, de plans industriels ou de tout autre élément de propriété intellectuelle, dans le but de les exploiter à son compte ou de les monnayer auprès de la concurrence.
Exemples : un commercial indélicat peut subtiliser le carnet d'adresses de sa société avant de démissionner, ou un ingénieur peut revendre des plans à un concurrent. Ces détournements d'actifs sont particulièrement dommageables, car ils privent l'entreprise des ressorts réels de sa compétitivité.
Détournement de fonds publics et subventions
Les organisations publiques ne sont pas épargnées par les détournements, loin de là. Les fonds publics, issus de l'impôt et destinés à l'intérêt général, peuvent faire l'objet de multiples malversations. Cela peut passer par l'utilisation de subventions et d'aides publiques à d'autres fins que celles prévues, le contournement des procédures de marchés publics (favoritisme, ententes illicites) ou encore le recours à des emplois fictifs et des rémunérations de complaisance.
Exemples : parmi les nombreux exemples, on peut citer l'utilisation de faux emplois parlementaires pour collecter leur rémunération, ou l'attribution de marchés truqués en échange de rétrocommissions. Ces détournements sont particulièrement scrutés, car ils privent la collectivité de ressources précieuses et sapent la confiance des citoyens dans leurs institutions.
Quelles sont les affaires les plus marquantes en Europe et dans le monde ?
Plusieurs scandales retentissants ont marqué les esprits ces dernières années, illustrant l'ampleur et la diversité des détournements.
Le détournement chez Kiabi (France, 2024)
En août 2024, la justice française fut saisie d’un détournement d'une ampleur inédite chez Kiabi, enseigne de prêt-à-porter à petits prix. 100 millions d’euros, placés sur une banque en Europe en juillet 2023, avaient disparu, alors que la direction financière s’apprêtait à récupérer son dépôt. Entre-temps, l’ancienne directrice de trésorerie de Kiabi s'était installée à Miami, affichait un train de vie somptueux qui laissa peu de doutes. Villas, voitures et sacs de luxe, fêtes, etc. Après son arrestation en Corse en août 2024, les enquêtes de plusieurs quotidiens révélèrent au grand public ses précédentes victimes, dont un ex-petit ami et un ancien employeur.
Le détournement du plan de relance post-Covid (Italie, 2024)
Premier bénéficiaire des aides européennes post-Covid, l’Italie fut l’épicentre du détournement de 600 millions d'euros issus du plan de relance NextGenerationEU. L'enquête conjointe du Parquet européen et de la Garde des finances italienne mit au jour un système tenu par 24 suspects, entre 2021 et 2023. Le réseau réclamait des subventions pour des PME fictives et créait des crédits fictifs dans le secteur du bâtiment, avant de transférer les fonds vers l'Autriche, la Roumanie et la Slovaquie via un dispositif complexe. Les autorités ont saisi des villas somptueuses, des montres de luxe, des cryptomonnaies et des voitures haut de gamme.
L’affaire du fonds souverain 1MDB (Malaisie, 2015)
C'est le plus grand scandale financier qu'ait connu la Malaisie - le Département de la Justice américain le qualifiant même de “plus grand cas de kleptocratie à ce jour”. Plus de 4,5 milliards de dollars furent détournés entre 2009 et 2015 du fonds souverain 1MDB, censé contribuer au développement économique du pays. Cet argent aurait été siphonné via un vaste réseau de comptes offshore et de sociétés écrans, avec la complicité de banquiers véreux au sein de la filiale asiatique de Goldman Sachs. L'homme au cœur du scandale : Jho Low, un financier proche de l'ex-Premier ministre Najib Razak. Ce dernier a été condamné à 12 ans de prison pour corruption. Quant aux fonds détournés, ils auraient servi à acheter de l'immobilier de luxe, des œuvres d'art ou à financer le film Le Loup de Wall Street...
Le scandale Xu Guojun à la Bank of China (Chine, 2001)
En 2001, un vaste scandale de détournement de fonds a éclaté à la Bank of China. Xu Guojun, alors directeur adjoint de la succursale de la banque dans la province du Guangdong, a subtilisé avec ses complices 482 millions de dollars sur une période de 7 ans. L'argent était transféré vers des sociétés écrans à Hong Kong puis blanchi aux États-Unis et au Canada via l'achat de biens immobiliers et dans des comptes de casinos à Las Vegas. Xu Guojun fut arrêté dans le Kansas, inculpé et condamné, avant d'être extradé en Chine. Il y fut condamné à la prison à vie en décembre 2023.
La faillite de FTX/Alameda Research (États-Unis, 2022)
La faillite brutale de FTX en novembre 2022 révéla un vaste détournement des fonds des clients de la plateforme. Son fondateur Sam Bankman-Fried avait transféré pas moins de 11 milliards de dollars de dépôts de clients vers le hedge fund Alameda Research, dont il était aussi propriétaire. L’enquête révéla que “SBF” avait puisé pour 3,3 milliards de dollars dans la caisse de sa société de trading. Au moins 1 milliard de dollars auraient servi à financer le train de vie fastueux du dirigeant et de ses proches : immobilier aux Bahamas, dons politiques, investissements hasardeux, etc.
Pendant ce temps, Alameda jouait avec le reste de l'argent des clients sur des paris crypto à haut risque, tout en bénéficiant d'un compte prioritaire sur FTX. Les pertes abyssales étaient masquées par des manipulations comptables. Au total, 8 milliards de dollars auraient ainsi disparu, laissant un million de créanciers sur la paille. Sam Bankman-Fried a été arrêté aux Bahamas puis extradé aux États-Unis où il fut condamné à 25 ans de prison pour fraude et conspiration. Un séisme qui a durablement ébranlé la confiance dans l'écosystème crypto.
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Aller sur YouTubeQuelles sont les sanctions encourues par les fraudeurs dans différents pays ?
Dans différents pays, les sanctions encourues pour des actes de fraude varient en fonction de la législation locale. Voici un résumé des qualifications juridiques, peines d’emprisonnement, sanctions financières, et bases légales :
France
Qualification juridique : Abus de confiance
Peines d’emprisonnement : Jusqu’à 7 ans
Sanctions pour particuliers : 750 000 €
Sanctions pour entreprises : Jusqu’à 3,75 millions €
Base légale : Code pénal
Allemagne
Qualification juridique : Untreue (Abus de confiance)
Peines d’emprisonnement : Jusqu’à 10 ans
Sanctions pour particuliers : Proportionnelles aux gains illicites
Sanctions pour entreprises : Jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel
Base légale : StGB (Code pénal allemand)
Royaume-Uni
Qualification juridique : Fraud
Peines d’emprisonnement : Jusqu’à 10 ans
Sanctions pour particuliers : Illimitées
Sanctions pour entreprises : Illimitées, avec possibilité de recours à un accord différé de poursuite (DPA)
Base légale : Fraud Act 2006
États-Unis
Qualification juridique : Wire fraud / Mail fraud
Peines d’emprisonnement : Jusqu’à 20 ans
Sanctions pour particuliers : Jusqu’à 5 millions $ ou davantage selon le préjudice
Sanctions pour entreprises : Amendes calculées en fonction du préjudice multiplié par trois
Base légale : Pas spécifiée dans le tableau
Suisse
Qualification juridique : Gestion déloyale
Peines d’emprisonnement : Jusqu’à 5 ans
Sanctions pour particuliers : Calculées en jours-amende
Sanctions pour entreprises : Jusqu’à 5 millions CHF
Base légale : Code pénal suisse
Chaque pays adapte ses sanctions en fonction de la gravité de l’infraction et de ses propres lois nationales.
En France
Le détournement de fonds est qualifié d'abus de confiance en droit français. Outre les sanctions principales (7 ans d'emprisonnement, 750 000 € d'amende), plusieurs peines complémentaires peuvent être prononcées : interdiction de gérer une entreprise, confiscation/récupération des biens mal acquis, publication de la décision de justice. Les entreprises encourent même une amende quintuplée (3,75 millions €) et peuvent faire l'objet d'une exclusion des marchés publics.
En Allemagne
L'Untreue constitue l'infraction principale en matière de détournement. Les tribunaux allemands appliquent un système de graduation des peines basé sur le montant détourné, la qualité de l'auteur, d’éventuelles circonstances aggravantes (préméditation, dissimulation) et la durée des agissements. La responsabilité des entreprises impliquées est engagée via le droit administratif (Ordnungswidrigkeitengesetz), permettant des amendes proportionnelles au chiffre d'affaires.
Au Royaume-Uni
Le Fraud Act 2006 a modernisé l'arsenal répressif britannique. Le Serious Fraud Office dispose de pouvoirs d'enquête étendus et peut conduire des perquisitions sans autorisation judiciaire préalable, exiger la production de documents et négocier des Deferred Prosecution Agreements (DPA). Ces accords permettent aux entreprises d'éviter des poursuites, en contrepartie d'amendes importantes.
Aux États-Unis
Le système fédéral américain est particulièrement sévère, avec une approche impliquant plusieurs juridictions. D’abord des poursuites pénales fédérales (wire fraud, mail fraud), ensuite des actions civiles de la SEC, sans compter les poursuites au niveau des États et les actions collectives (“class actions”) des victimes. Les amendes sont calculées selon les Federal Sentencing Guidelines, avec des multiplicateurs basés sur le préjudice. Les entreprises peuvent être condamnées à des amendes dépassant le milliard de dollars !
Comment les entreprises se protègent-elles contre les détournements de fonds ?
Le contrôle interne
Le contrôle interne repose sur un principe clé : la séparation des tâches incompatibles. L'objectif est d'éviter qu'une même personne n'ait un contrôle excessif sur l'ensemble d'un processus financier, de l'engagement de la dépense à son paiement. Pour cela, les entreprises cloisonnent strictement les responsabilités liées à l'autorisation des opérations, à leur enregistrement comptable et au maniement des actifs correspondants (espèces, chèques, stocks).
Voici les bonnes pratiques classiques :
Séparer les tâches liées aux autorisations, à l'enregistrement des opérations et au maniement des actifs.
Instaurer une double signature pour les transactions sensibles, au-delà d'un certain montant.
Effectuer des contrôles inopinés sur les stocks, la caisse et le matériel.
La sécurité de Bitpanda, c’est-à-dire de vos fonds comme des fonds opérationnels de la plateforme, ne déroge pas à ce principe : aucun employé ne peut accéder seul aux portefeuilles et effectuer des transactions. Tout se fait de manière fragmentée et à plusieurs, selon des procédures d'autorisation strictes.
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Inscrivez-vous iciLa gestion des accès aux logiciels clés
Les fraudeurs exploitent souvent les failles des systèmes d'information pour contourner les procédures et couvrir leurs malversations. C’est la raison pour laquelle les entreprises sont aujourd’hui aussi rigoureuses sur l’accès à leurs applications financières et comptables. Les droits attribués à chaque utilisateur suivent le fameux principe du moindre privilège : chacun ne doit pouvoir accéder qu'aux seules fonctions et données dont il a besoin pour son travail. Il faut aussi être capable de retracer a posteriori les actions de chaque utilisateur.
Voici quelques exemples de pratiques :
Sécuriser les mots de passe et supprimer rapidement les accès des sortants.
Rapprocher mensuellement les écritures comptables et les relevés bancaires.
Auditer régulièrement les fournisseurs et les prestataires.
La culture de la vigilance et de l'éthique
Les études montrent que la première ligne de défense reste la vigilance des collaborateurs, qui sont souvent les mieux placés pour repérer les signaux faibles de détournement. Et pour libérer la parole, les collaborateurs doivent se sentir en confiance et protégés contre d'éventuelles représailles. Les lanceurs d'alerte doivent avoir la garantie que leurs signalements seront traités rapidement et équitablement.
Conclusion
Le détournement de fonds ne s'arrête jamais à la simple fraude. Pour être utilisé, l'argent volé doit forcément être blanchi. Vous ne serez pas surpris de constater que, dans chaque affaire que nous avons évoquée (les comptes de casinos utilisés par Xu Guojun, les investissements de Sam Bankman-Fried, le fonds souverain 1MDB, notamment), il y a systématiquement plusieurs délits : le vol, sa dissimulation au moyen de chantage, corruption ou menaces, et enfin le blanchiment des fonds volés.
L'argent sale suit des chemins bien connus : il est dispersé via des sociétés écrans, converti en biens de luxe ou en actifs numériques, puis réinjecté dans l'économie légale. Cette mécanique bien huilée continue de défier les autorités, malgré le renforcement constant des contrôles.
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